IL ETAIT UNE FOIS

L'héritage invisible

 

Tout commence neuf mois avant le 14 novembre 1973, vers 18 h 30 : la rencontre entre l’ovule de ma mère, née en 1944, et un spermatozoïde encore vaillant de mon père, né en… 1923. Vous avez sans doute rapidement calculé qu’il y avait 21 ans d’écart entre mes parents et 50 entre mon père et moi.

Veuf depuis quelques années, mon père eut l’idée judicieuse de se remarier avec une jeune femme plus jeune que lui pour qu’elle s’occupe de son dernier enfant (mon demi-frère de 4 ans à l’époque) et, bien sûr, des tâches ménagères (Ahhh, l’ancienne génération !). Artisan indépendant, il avait peu de temps pour gérer le reste. Comme tout mariage repose sur le compromis, il se résigna à répondre à l’appel impérieux de ma mère, mue par les hormones de la maternité.

C’est ainsi qu’arriva Olivier, Christophe, Claude, un enfant désiré par l’une et simplement concédé par l’autre. Aujourd’hui, à 50 ans dépassés, je ne pourrais pas imaginer avoir un autre enfant, même sous la menace (mon père, lui, en avait eu cinq de son premier mariage). Je ne m’étendrai pas davantage sur la vie de couple de mes parents et encore moins sur celle de mon père, mais plutôt sur les éléments me reliant à eux.

Commençons les présentations :

Ma mère a toujours débordé d’énergie, avec un caractère bien trempé qui ne mâche pas ses mots. Entière et généreuse, son franc-parler semble être le reflet d’une éducation où l’urgence du quotidien primait sur les formes et les conventions.

Issue d’une famille nombreuse de 14 enfants, elle et sa sœur jumelle n’ont jamais connu leur père ni son identité. Se construire dans un tel climat n’a rien d’évident, mais cela forge le caractère. Elle a toujours avancé avec une force incroyable, et par deux fois, elle a affronté un cancer du sein sans jamais fléchir.

Malgré les épreuves, elle a su transmettre un amour indéfectible, et je n’ai jamais manqué de son affection.

Aujourd’hui encore, à plus de 80 ans, elle ne tient pas en place et supporte mal une journée sans activité. Le travail est son pilier, une valeur chevillée au corps.

Inscrite en salle de sport, elle ne transige jamais sur ses 10 000 pas quotidiens, scrutés avec rigueur sur sa montre connectée. Et si elle ne marche pas, c’est qu’elle est dans son jardin, à bêcher, biner, ratisser, arroser, tailler, désherber, rempoter… un vrai ballet horticole !

Car elle possède un super pouvoir dont je n’ai jamais hérité : Son amour inconditionnel des plantes. Elles envahissent son espace, et surtout, elle a une capacité presque magique à les entretenir et les sauver… ce qui est loin d’être mon cas. Ah… la fameuse main verte !

Mon père, quant à lui, est sans aucun doute l’homme le plus énigmatique des deux. C’était un extrémiste... de l’hygiène de vie ! Rigoureux comme une horloge, il débutait chaque repas par sa traditionnelle soupe, même à Noël ou sous 35 degrés. Couché à 20 h 30, je ne l’ai jamais vu ivre ni même manger un bonbon. Il buvait du vin toujours rouge, mais avec modération. Une vie qui semblait triste à mes yeux, mais pas aux siens.

Il est resté en excellente santé sans prendre le moindre médicament jusqu’à l’âge de 93 ans. Encore capable, à cet âge, de grimper sur le toit de son atelier tel un jeune homme de 20 ans, il concevait ses propres outils pour fabriquer toutes sortes de choses avec des matériaux recyclés.

Son rêve était de devenir instituteur, mais les exigences de la ferme familiale l’en ont empêché, l’obligeant à revoir son ambition et son envie de transmettre son savoir. Lorsque mon grand-père n’eut plus besoin de lui à l’exploitation, mon père, après un bref passage dans la restauration de sièges automobiles, se lança dans la grande aventure de l’entrepreneuriat. Il trouva sa voie dans le métier artisanal de tapissier matelassier, vivant au rythme des commandes et travaillant finalement peu en hiver.

Mais il n’était pas du genre à attendre que le temps passe. Toujours curieux et inventif, il imaginait et créait des objets utiles. Je garde notamment en mémoire le chauffe-eau solaire qu’il fabriqua avec des tuyaux en cuivre peints en noir, desquels jaillissait  une eau brulante. Il se passionnait aussi pour la marqueterie et jouait de l’accordéon à l’oreille, avec une sensibilité musicale instinctive.  Son ingéniosité ne se limitait pas à son propre monde, elle a fini par façonner ma manière de voir les choses. Aujourd’hui encore, j’aime imaginer comment donner une seconde vie aux objets, un réflexe hérité de lui.

Une vie bien remplie, menée avec passion et créativité, jusqu’à ce qu’il décide de poser définitivement ses outils d’artisan vers l’âge de 75 ans.  Nous étions bien loin des 64 ans !

Il était en pleine santé jusqu’à une chute dans son potager, en pantoufles, vers 95 ans. Verdict : deux vertèbres fracturées et trois mois d’immobilisation. La sédentarité aura eu raison de sa vitalité, et il ne s’en est jamais réellement remis. Il a choisi de nous quitter un 31 décembre, à presque 98 ans. Ce soir-là, alors que je fêtais comme il se doit la nouvelle année, je reçus ce SMS : « Ton père nous a quittés, désolée pour ton réveillon. » Personne n’est jamais vraiment prêt à perdre un proche, mais je savais qu'il était fatigué de vivre.

Alors, résumons : une mère combattante et dynamique, un père créatif et indépendant, frustré professionnellement mais exemplaire en termes d’hygiène de vie… Tout cela n’a-t-il finalement pas façonné un Olivier TAVEAU futur centenaire, persévérant, passionné par la santé, la lumière et la transmission ?

À vos stylos, vous avez trois heures !

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