GARDE A VOUS

Une (en)quête intérieure

 

Repos, soldat ! N’ayant pas été réformé P4 (les plus anciens comprendront), j’eu l’opportunité de faire mon service militaire chez les bleus. En effet, intégrer la gendarmerie était un choix personnel, motivé par ma volonté d’aider mon prochain et d’être au cœur de l’action. Plutôt que de passer mon service militaire à attendre dans une caserne, je recherchais un engagement concret, où chaque jour apporterait son lot de défis humains et de missions utiles.

On dit souvent que le service militaire transforme ceux qui le vivent. Et je peux en témoigner. À 20 ans, je fus confronté à des situations déstabilisantes, loin de ma zone de confort. La carrière d’un gendarme laisse peu de place aux moments joyeux, souvent marquée par le malheur, la détresse humaine ou la mort.

J’avais ainsi vécu 10 mois, dont un mois de classe. Une expérience intense, où je découvris la pratique du tir. Mes premières manipulations du PAMAS G1 (Pistolet semi-automatique français fabriqué à Saint-Étienne (MAS)) furent loin d’être instinctives. Je me souviens encore de cette sensation étrange et inconfortable en appuyant sur la détente. Cet instant suspendu avant que la détonation résonne, qui surprend par son recul… un équilibre subtil entre contrôle et surprise. C’était déroutant. Une expérience qui s'ajouta à ma découverte d’un univers totalement nouveau.

L’anecdote la plus marquante fut celle d’un exercice de tir à la fin des classes, pendant lequel l’instructeur analysa mon tir sur la cible. Constatant que mes impacts manquaient de précision, il me fit une remarque. Je rétorquai alors, avec un brin d’ironie : « L’essentiel, c’est que j’ai visé l’homme en noir. Il ne sera pas près de se relever. »  Un silence… puis quelques sourires autour de moi.

Ce ne fut pas toujours le cas (les sourires), car l’armée restait avant tout une expérience de vie commune où l’on apprenait, souvent à ses dépens, de ses erreurs de communication :

Nous terminâmes nos classes par un examen dont les résultats déterminaient nos prochaines affectations pour le mois d’août et la suite des 8 prochains mois. Les mieux classés avaient le privilège de choisir leur destination, et pour beaucoup, cet examen représentait une chance de se rapprocher de leur famille ou de leur conjointe. Les meilleurs pouvaient être affectés dans ce que la gendarmerie appelait pour les bleus le « renforcement de plage » en Méditerranée. Forcément, les sudistes avaient tout intérêt à briller.

Pour ma part, cet examen signifiait tout autre chose : il risquait de m’éloigner de ma copine de l’époque. Je ne voulais pas quitter la caserne (sort réservé au dernier quart du classement) et n'avais donc tout simplement pas envie de me surpasser si cela impliquait de m’éloigner d’elle. Je ne voulais pas sacrifier notre relation sur l’autel d’une meilleure affectation dans le sud… moi, le gars de l’ouest. Comme quoi, à cette époque, mon ambition professionnelle passait après mon cadre personnel.

Par naïveté ou par esprit d’entraide, j’eus la « brillante » idée de partager les réponses de certaines épreuves avec ceux qui les passaient l’après-midi. Naturellement, cela ne fut pas bien reçu par ceux qui en avaient été lésés. Ce comportement suscita de l’animosité, et je découvris, pendant ces derniers jours de classe, ce que certains collégiens vivent en tant qu’harcelés. Un adage dit qu’il faut tourner sa langue avant de parler… Et bien ce jour-là, comme avec l'instructeur,  j’aurais dû la fermer …

Heureusement pour moi, cette période de tensions fut extrêmement courte. Ceux qui étaient restés à mes côtés, les derniers du classement, apprirent à me connaître, et les tensions se dissipèrent peu à peu. Les journées étaient rythmées par des tâches répétitives, ponctuées par une bonne dose de sport et d’activités physiques variées, comme le maniement des débroussailleuses ou du balai. « Faire et défaire, c’est refaire », paraît-il. Je l’avais vérifié.

Puis, l’affectation définitive tomba : ce serait la capitale bretonne, Rennes. J’ai commencé par un mois au sein du Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie (PSIG), où nous venions en renfort pour toutes les brigades de l’agglomération rennaise.

Ces premières semaines furent intenses, passées aux côtés de la brigade cynophile. Les footings dès huit heures sur les bords de la Vilaine avec les bergers belges étaient aussi exigeants que sportifs, et les interventions, toutes différentes, demandaient une véritable adaptabilité et un sang-froid certain pour affronter des situations souvent marquantes : Des accidents de la route ("la faute à pas de chance"), des suicides, des homicides, la gestion des gens du voyage, la surveillance de juges d’instruction menacés, et bien d’autres encore.

Je pourrais écrire des pages entières sur ces expériences tant elles furent nombreuses, variées et surtout marquantes.

Il y eut, par exemple, cette nuit blanche rocambolesque qui commença par un banal contrôle d’alcoolémie en sortie de discothèque, interrompu à plusieurs reprises par des urgences diverses :

Parmi elles, un cambriolage pour le moins audacieux. Les victimes, parties assister à un mariage, avaient laissé leurs sacs dans leur voiture. Celle-ci, fracturée, offrit aux cambrioleurs un accès royal : un sac à main contenant les clés et l’adresse du domicile. À la fin des festivités, les propriétaires découvrirent le méfait et contactèrent la gendarmerie.

Nous leurs avions conseillé de ne pas rentrer chez eux avant notre arrivée. Sur place, la porte d’entrée était entrouverte. Avec mon collègue, nous franchîmes le seuil. Une rapide vérification nous mena à entendre un bruit à l’étage.

Prenant mon courage à deux mains (et surtout mon fameux PAMAS dans l’une et ma bombe lacrymogène dans l’autre), j’entamais l’ascension des marches, le cœur battant la chamade. Chaque pas semblait durer une éternité. Ce fut un de ces moments où tous les sens sont en alerte maximale. Finalement, la source du bruit se révéla être… le chien de la maison, complètement terrifié par ce qu’il venait de vivre.

À peine les émotions retombées, nous fûmes appelés sur une nouvelle intervention, cette fois pour un accident de la route peu ordinaire.  Un homme, récemment sorti d’une maison de soins psychologiques après une tentative de suicide, rentrait chez lui au volant de sa voiture. En chemin, un de ses pneus explosa, rendant le véhicule incontrôlable. La voiture finit sa course en équilibre précaire sur le rail de sécurité d’un pont, précisément sur son arête. Vous pouvez imaginer la suite lorsque la voiture fut stoppée par le pilier du pont, à l’endroit même de sa portière. L’expression « ramasser à la petite cuillère » prit alors tout son sens.  La reconnaissance du corps par la famille ne put se faire qu’à travers les vêtements qu’il portait.

Ce dernier événement me marquera à jamais. Je ne peux m’empêcher de penser que, si la crevaison avait eu lieu un dixième de seconde plus tard, il aurait peut-être terminé sa course à côté de cette glissière de sécurité et non dessus. Comme quoi nos vies semblent parfois écrites quelque part, certainement conditionnées par nos décisions ou nos gestes du quotidien. Mais est-ce vraiment le fruit du hasard ? Et si le karma influençait nos trajectoires d’une manière imperceptible ?

Cependant, ce qui m’a définitivement dissuadé de passer le concours de la gendarmerie fut un capitaine autoritaire et égocentrique. En d’autres termes, un manager incapable de transmettre l’envie de s’investir dans ce métier pourtant si passionnant. Avec le recul, je lui en suis presque reconnaissant.

Peu importe, cette expérience militaire m’aura au moins ouvert les portes d’une entreprise du secteur. Une rencontre, lors d’un cambriolage, se transforma en opportunité : le chef d’entreprise, un ancien employé de banque, me proposa une mission très particulière, non conventionnelle : Un poste de « détective privé ». Rien à voir avec Magnum ou Sherlock, bien sûr. Ma mission consistait à prouver que certains anciens salariés ne respectaient pas leur clause de non concurrence. À mon âge, cela me semblait être une expérience fascinante à vivre, et, avouons le, cela impressionnait mes amis.

La société me prêtait une voiture différente chaque semaine pour éviter d’être repéré lors des filatures. Dans les équipements confiés pour mes missions, J'eu aussi un téléphone portable bien différent des appareils miniaturisés d’aujourd’hui. Celui qui m’appelait devait payer la note, car les forfaits illimités à bas prix n’existaient pas encore. Les plus anciens se souviendront peut-être de l’antenne aimantée qu’on posait sur le toit de la voiture et du poids de ces GSM, équipés d’une poignée pour les transporter.

Je traversais la France chaque semaine, et un épisode rocambolesque me revient en mémoire. J’avais proposé à ma future femme de m’accompagner pour lui faire découvrir mon métier.

Après une filature dans la campagne, nous nous étions arrêtés sur une place d’église pour observer l’habitation d’un ancien salarié en contrebas. Par distraction, je ne l’avais pas vu quitter sa maison, mais je l’avais aperçu surgir sur le parking, furieux. Il se précipita vers ma portière et s’empara de mes clés. Ma fenêtre était ouverte et j’étais encore attaché. Je n’eus aucune réaction, tant la situation était inattendue et brutale.

En retournant à son véhicule, il me lança cette phrase glaçante : « Je reviens avec mon fusil ! »

J’ai réussi à sortir de mon véhicule en criant, mais il repartit aussi rapidement qu’il était arrivé. Heureusement, j’avais mon téléphone pour appeler la gendarmerie. Ma future femme, traumatisée, restait pétrifiée à côté de moi, et je n’étais pas beaucoup plus rassuré.  Dix minutes plus tard, les gendarmes arrivèrent, me rendirent mes clés et m’informèrent que j’étais désormais interdit de département.  Cet incident me poussa à repenser complètement mon approche.

Comme il était difficile de suivre les protagonistes sur le terrain, je décidais de tout faire par téléphone. Je commençais par contacter un huissier local, puis, avec le fichier clients de l’entreprise, je me fis passer pour un étudiant menant une étude de marché.

Mon objectif était de savoir si l’ancien(ne) salarié(e) lui rendait visite en lui soumettant un questionnaire. Si c’était le cas, je me déplaçais sur place avec l’huissier pour recueillir son témoignage.  Cette méthode me permit de travailler de manière plus efficiente. Travailler mieux et moins : telle devint ma devise. Cependant, cette expérience m’a profondément marqué, et j’ai ressenti le besoin d’arrêter. Le plaisir avant tout.

J’ai ensuite enchaîné avec une autre mission dans un cabinet de détective privé spécialisé dans la localisation de clients en défaut auprès des établissements bancaires

À l’époque, il n’y avait pas de connexions entre les caisses régionales. L’informatique et les réseaux interbanques n’existaient pas.

Il suffisait alors de changer de région tout en conservant la même banque pour voir ses dettes s’effacer. Nos seules armes étaient un téléphone fixe et un… Minitel. Il fallait traiter un certain nombre de cas par jour pour assurer la rentabilité de ce cabinet spécialisé.

Certains collègues étaient doués, capables de boucler une petite dizaine de cas par jour. Pour ma part, je peinais pour en faire un et je n’ai jamais réussi à y trouver ma place malgré ma bonne volonté.

Je ne renouvelais pas ma période d’essai, avec le sentiment de ne pas être à ma place. J’ai compris qu’embêter mon prochain sans connaître sa vie ne correspondait pas à mes valeurs.

Au contraire, je prenais conscience que je voulais apporter du bonheur aux gens, plutôt que de les détruire ou de les enfoncer.

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