COVID

Une vie masquée

 

Le concept YaPaKe tel que nous l’avions imaginé n’ira plus jamais au bout car les tournages ne pouvaient continuer dans des conditions acceptables « sanitairement » parlant. Tout comme ma société créée dix ans au préalable. Elle aussi fut aussi stoppée nette du fait de ne pas pouvoir rassembler les collaborateurs d’entreprises.

Une drôle de période que cette année 2020. Nous avons tous vécu ce premier confinement comme une pause imposée dans nos vies, découvrant au passage le profond attachement des Français… au papier toilettes. Pour ma part, ce confinement s’est déroulé chez mes parents. En instance de divorce, je ne vivais plus dans ma future ex-maison. En attendant de trouver l’appartement idéal, je m’étais retrouvé à m’occuper de mes parents, et plus particulièrement de mon père, qui montrait déjà tous les signes de la dépendance.

Il m’est arrivé de lui donner à manger, comme il avait dû le faire pour moi lors de mes premières années. Drôle de clin d’œil du destin : j’allais passer  la dernière année de vie à ses côtés.

Malgré tout, j’ai profité de ce premier confinement pour plonger dans une introspection bienvenue, entre deux classiques diffusés à la télé. Ce fut aussi une période de création. Mes parents disposaient d’un atelier parfaitement équipé pour travailler le bois et il fallait bien occuper l’esprit et se stimuler. J’ai alors fabriqué du mobilier et des jeux, m’inventant de nouveaux projets au milieu de cette pause forcée.

Jusqu’à m’ennuyer. La vraie vie commençait à me manquer cruellement et j’avais besoin de voir du monde, de parler, d’échanger. J’ai alors contacté une amie travaillant dans les plants de fraises. Elle m’a dit que sa société cherchait encore du monde pour la saison. Je n’ai pas hésité une seconde, et me voilà embarqué pendant trois semaines, à soulever des barquettes de fraisiers dont j’ai depuis oublié la variété.

C’était un travail très physique, qui me laissait sur les rotules chaque soir. Le matin, ma journée commençait à 6 heures pour être prêt à l’échauffement collectif dès 7 h 30, avec tous les autres saisonniers. Une heure à peine pour la pause déjeuner, puis nous repartions dans ce rythme effréné pour honorer les commandes de 16 heures.

Mon rôle principal consistait à alimenter les tables de préparation des commandes. Cela impliquait de récupérer dans les serres les variétés demandées et de les rapporter sur des rolls un peu cabossés. Entre tirer, pousser, soulever, c’était un véritable travail de forçat, mais cela me reconnectait au monde réel, à l’effort et à une certaine simplicité. Pas besoin de réfléchir et agir selon les désidératas des chefs. Peux-tu aller nous chercher 5 rolls de telles variétés et 6 de l’autre ? et tant qu’à faire tu donneras aussi un coup de main au nettoyage des plans. Ah au fait pense aussi à l’arrosage…

J’ai tiré plusieurs enseignements de cette expérience professionnelle. Le principal, c’est qu’en trois semaines de travail sur ces terres agricoles, je gagnais l’équivalent de ce que je pouvais toucher en une seule journée d’animation de cohésion d’équipes — bien que cela nécessitât un minimum de préparation en amont.

Cette coupure m’a néanmoins ouvert les yeux sur une certaine forme d’ingratitude émergente, révélée par mon introspection. Ton job n’est-il pas sympa, Olivier ? Oui, mais… je réalisais qu’il ne me manquait pas tant que cela. J’ai toujours cherché à ne pas ressentir la contrainte du travail, à m’investir comme un passionné capable de passer des heures pour un maigre SMIC horaire.

Vaste sujet que le sens que l’on donne à son travail, n’est-ce pas ? Comment trouver une véritable satisfaction dans ce que l’on fait au quotidien ?

Le confinement touchait à sa fin, et nous pouvions enfin sortir masqués dans les rues, libérés de l’obligation de présenter le fameux bon de sortie. Pour ma part, je n’avais pas à me plaindre : l’État m’avait soutenu, et j'en  garde une sincère gratitude. Un grand merci, d’ailleurs, au gouvernement de l’époque et à son fameux « quoi qu’il en coûte ». Sans ces aides — environ quinze mois dans mon cas — je n’aurais jamais pu emprunter le chemin de réflexion qui m’a permis de partager ce parcours à travers ces lignes.

Dans tous les cas, mon envie de changement et mes envies d’ailleurs commençaient réellement à prendre forme dans mes pensées et mes actes. Depuis quelques semaines, j’observais sur les réseaux sociaux le parcours d’un chef d’entreprise partageant la transformation de son parc d’attraction indoor. Ce concept familial, initialement axé autour d’une vague artificielle, avait dû être abandonné en raison de coûts de location exorbitants. Cette vague, bien que prometteuse, coûtait parfois plus cher à activer que ce qu’elle rapportait lorsque la fréquentation nécessaire n’était pas atteinte.

Le parc proposait aussi des activités originales telles que des tricycles électriques, un espace trampoline ou encore un parcours inspiré de « Ninja Warrior ». Cependant, les difficultés financières, déjà présentes avant l’arrivée du Covid, avaient commencé à peser lourdement. Dans un ultime sursaut pour sauver son activité, le propriétaire s’était lancé dans une transformation ambitieuse. L’espace aquatique fut remplacé par des terrains de pétanque, tandis que la zone de drift laissait place à des épreuves tirées du célèbre jeu télévisé Koh Lanta.

Je trouvais son baroud d’honneur tellement admirable que je n’ai pas pu rester spectateur. Lorsqu’il publia une annonce pour un poste de responsable, je n’ai pas hésité une seconde et j’ai sauté sur l’occasion. Un nouveau challenge ? Une autre manière d’aborder mon avenir professionnel.

J’ai dû apprendre une multitude de compétences en un temps record. Un mois à peine et les portes étaient prêtes à s’ouvrir. En dehors de l’animation, que je maîtrisais déjà, j’ai dû me plonger dans le métier de barman. Rien que servir une bière, c’est tout un art ! Il fallait aussi intégrer toutes les autres notions de la restauration comme les commandes, les dates de péremption et j’en passe.

Et que dire du management ? J’ai repris l’équipe d’avant-Covid, composée d’étudiants motivés sous contrat. Malheureusement, notre nouvelle organisation ne nous permettait pas de garder tout le monde. Je me souviens encore d’un entretien difficile avec une jeune femme, venue accompagnée de son père (que je n’aurais jamais dû recevoir). Elle refusait les nouveaux horaires et, pire, avait eu l’audace de m’enregistrer à mon insu. Ce jour-là, j’ai mesuré toute la dureté que peut revêtir le management et les relations humaines.

Malgré tous ces défis, j’avais mis en œuvre plusieurs actions pour attirer une autre clientèle, en mobilisant mon réseau. Peu à peu, ces efforts commençaient à porter leurs fruits, avec de belles facturations en perspective. Mon objectif était clair : faire moins mais mieux. Accueillir des entreprises permettait de garantir une rentabilité bien supérieure à celle d’un groupe provenant d’un centre aéré.

Cependant, après un mois et demi, j’ai dû me rendre à l’évidence. Certaines manifestations avaient été annulées à la dernière minute en raison de cas de Covid au sein des entreprises. J’ai compris que ce défi serait insurmontable dans de telles conditions. Le parc ne disposait plus de trésorerie et les fournisseurs commençaient à nous relancer sérieusement.

Je me souviens encore de la visite d’un propriétaire de parc vendéen pour enfants venu évaluer la situation. Il nous expliqua que les gens avaient peur de s’enfermer dans des espaces clos, et que lui-même peinait à attirer le moindre visiteur. Ce jour-là, nous avions vécu un moment historique et glaçant : pas un seul client n’avait franchi nos portes. Zéro chiffre d’affaires, mais toujours des salaires à payer.

Il fallait se rendre à l’évidence et stopper les frais. J’ai informé le chef d’entreprise de ma décision de rompre cette pseudo période d’essai. Je lui ai également proposé de ne plus assumer le rôle de responsable du parc, notamment pour la partie restauration rapide et bar.

Cependant, je voyais malgré tout une complémentarité entre nous. Il n’était ni très commerçant (et nombreux le pensaient), ni véritablement commercial. En revanche, son talent pour la conception et la technique était indéniable. Je lui ai donc offert une alternative : continuer à l’accompagner en me chargeant de l’animation des groupes, une prestation clé en main que j’avais déjà vendue. J’ai aussi proposé de lui vendre d’autres prestations à l’avenir.

Il fallait tenir jusqu’à la rentrée de septembre et tenter de passer l’été, cette période cruciale de haute saison pour le parc. J’étais parvenu à louer des espaces pour des réunions, profitant des exigences du protocole sanitaire qui nécessitaient de grands espaces, une condition que le parc pouvait satisfaire. Une école en pleine expansion, située dans la même zone, m’avait même sollicité, grâce à une de ses sous-directrices que je connaissais, pour accueillir des classes. Cela permettait de générer des revenus durant les périodes creuses en journée. Je me chargeais même personnellement de l’accueil.

Malheureusement, fin septembre arriva, et le chef d’entreprise n’eut d’autre choix que de jeter l’éponge devant le tribunal de commerce. Malgré tous nos efforts, l’été n’avait pas été assez fructueux pour espérer redresser la situation. Qui plus est, l’annonce imminente d’un second confinement avait scellé définitivement le sort du parc.

Quoi qu’il en soit, il s’était battu jusqu’au bout avec une détermination admirable, et cela restera tout à son honneur.

Une nouvelle page se tournait et une autre s’entrevoyait déjà pour moi lorsque je reçus un coup de fil de la sous-directrice de l’école qui louait des espaces de cours dans feu, le parc. Elle me proposait de rejoindre le corps enseignant de son établissement, spécialisé dans la formation des futurs managers du sport.

J’avais déjà décliné les avances de la directrice lors d’une première approche. Le lien avait été établi lorsque nous recherchions un lieu pour l’avant-première de l’épisode 0 de YaPaKe. Le site principal de l’école, disposant d’un amphithéâtre, avait alors accueilli l’événement.

Cette fois-ci, j’ai accepté, sans vraiment savoir où cela me mènerait. J’avais déjà une certaine aisance dans la formation pour adultes, mais auprès de jeunes ? Cela représentait un tout autre défi. Elle semblait convaincue que je pourrais transmettre mon expérience terrain à de jeunes bachelors à peine plus âgés que mes propres enfants.

De plus, les premiers cours se déroulaient à distance, en visioconférence, ce qui ne permettait pas réellement de ressentir l’assiduité des élèves. Certains n’allumaient même pas leur caméra pour des raisons techniques. Ils semblaient parfois écouter d’une oreille distraite, avachis sur leur lit, probablement en train de regarder des vidéos sur TikTok. J’exagère volontairement, bien sûr, mais à mes yeux, rien ne remplace le présentiel pour transmettre un message et interagir pleinement avec un groupe.

Ce qui est certain, c’est que je ne ressentais aucun véritable engouement pour ce nouveau rôle. Le tarif horaire ne reflétait pas le réel investissement demandé à un enseignant soucieux de proposer des cours de qualité. Traiter d’un sujet exigeait une préparation minutieuse et des recherches approfondies pour capter l’intérêt de cette jeunesse. Et cela, sans même parler de la préparation des partiels, de la correction d’une cinquantaine de copies, de la notation souvent subjective, ou encore des évaluations personnalisées pour des apprenants parfois bien plus à l’aise à l’oral qu’à l’écrit. D’ailleurs, je me disais que certains auraient peut-être intérêt à envisager une orientation dans l’animation.

Je ne vous cache pas qu’à la fin, épuisé par ce rythme, je finissais souvent par recourir aux copiés-collés. Rien ne semblait me motiver. Il me fallait vibrer pour un projet porteur d’un véritable changement de vie professionnelle.

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                             Jour de fraises