EXPERIENCES HUMAINES
Du beurre dans les épinards
En tout cas, me voilà prêt à travailler dans les RH.
Mais est-ce vraiment mon envie ? Je n'étais pas complètement sûr de vouloir redevenir salarié et recevoir des ordres. C’est ainsi que mes fameux « taf alimentaires » prirent une place importante dans mon quotidien. Ces missions de courte durée n’étaient pas seulement un moyen d’apporter du beurre dans les épinards (je les mange aussi sans), mais elles m’offrirent également l’opportunité de vivre des expériences enrichissantes.
Parmi elles, l’animation micro a marqué mon parcours. Officiellement remplaçant de mon ami et binôme à Angers Télé, j’étais toujours partant : « Olivier, ça te dit d’animer un tournoi de foot inter-entreprise ? Une soirée de lancement d’un tournoi international de tennis féminin ?… ». Mon enthousiasme m’a conduit à relever de nombreux défis variés, et à chaque fois, ces expériences me stimulaient et m’enrichissaient.
Je n’ai pas oublié l’une d’elles : le jour de l’inauguration d’une piscine avec tous les officiels – préfet, représentants du département et de la région – et le ministre de l’Écologie. Je vous assure, dans ces circonstances, il faut être précis dans les mots utilisés, car ces pontes peuvent se révéler très susceptibles. Une anecdote en particulier avait fait sourire tout le monde. Chacun devait, tour à tour, monter sur scène pour prononcer son discours, et ma mission était de demander au public d’applaudir chaque intervenant. Je m’étais permis d’énumérer toutes les fonctions de l’une d’entre eux – une liste particulièrement longue – ce qui avait déclenché quelques rires dans l’assemblée.
Quelques semaines après le début de mon défi en 2021, une expérience singulière a marqué mon parcours. Ma metteuse en scène m’avait proposé de participer à des simulations de consultations médicales pour des étudiants du CHU en dermatologie. Je ne savais pas encore à quel point cette opportunité allait approfondir ma vision des émotions humaines.
Mon rôle ? Incarner des personnages confrontés à des pathologies graves, parmi lesquels un époux tourmenté dont la femme venait de subir l’ablation d’un mélanome agressif. Poussé par l’intensité du scénario, j’ai joué mon rôle avec une telle ferveur que l’étudiante en face de moi a perdu son calme. Son besoin de garder le contrôle et le mien de chercher une rassurance ont heurté ses limites émotionnelles. Ce fut un moment de tension palpable, mais aussi de prise de conscience. Après avoir adouci mon ton, je réalisai à quel point l’intelligence émotionnelle et l’empathie sont des outils cruciaux pour les médecins. Ce n’est pas seulement une compétence : c’est un art à part entière, nécessaire pour porter des nouvelles aussi lourdes que celles liées aux pathologies graves.
Cette expérience dans cette salle m’a appris une chose importante : derrière les blouses et les diagnostics, les émotions sont souvent le terrain le plus complexe à gérer. Cela pousse à se questionner, et à chercher : Que faut-il vraiment pour être un excellent praticien ? Peut-être pas seulement des connaissances médicales, mais un cœur qui comprend et un esprit prêt à écouter.
Une mission complètement différente m’offrit l’occasion de guider des retraités nancéiens à travers ma belle région. Ce fut une aventure intense, entre logistique minutieuse et un rôle qui s’apparentait parfois au babysitting. Planifier leurs visites, ajuster le rythme à leur mobilité, compter constamment les participants pour éviter d’en égarer un – cette mission m’avait épuisé, et le soir, je tombais littéralement de fatigue. Mais les souvenirs qui en découlent me font encore sourire.
Parmi eux, Il y eut cette sortie mémorable au Puy du Fou. Nous avions planifié deux jours pour être sûrs d’en voir un maximum et j'ai orchestré chaque moment avec précision : Les écarts entre les déplacements étaient très serrés, et il ne fallait pas qu’un grain de sable vienne enrayer mon planning millimétré. Et pourtant, tout commença fort. Nous étions dans la file d’attente, répartis à divers endroits, pour nous regrouper ensuite au point d’accueil après les vérifications habituelles (billets et fouilles). Une fois les portes franchies, je les comptais: deux manquaient à l’appel. Il s’agissait d’un couple, dont le mari végétarien était convaincu qu’il pouvait introduire un couteau pour couper sa pomme dans le parc. Heureusement, le chauffeur du car n’était pas loin et put récupérer l’outil pour le ramener en lieu sûr.
Autre mésaventure : nous étions tous installés dans les gradins, prêts à profiter d’un spectacle, quand une participante m’annonça qu’elle avait égaré son sac à main. Après lui avoir demandé ce qu’elle avait fait juste avant, elle me parla d’un tour en petit train. Je quittai alors les gradins avant le début du spectacle et me rendis au point d’arrivée du train. Par chance, le conducteur avait retrouvé le sac au terminus.
Une anecdote particulièrement sportive me revient aussi en tête. Lors de notre deuxième journée au parc, j’avais prévu de nous rendre au spectacle le plus éloigné de l’entrée. En temps normal, nous aurions pu y aller tranquillement, mais c’était sans compter sur un orage déversant des trombes d’eau. Nous avions dû nous abriter le temps qu’il passe. J’ai dû demander au groupe d’accélérer le pas pour arriver avant la fermeture des portes. Pour un jeune de 48 ans (à l’époque des faits) comme moi, ce n’était pas insurmontable, mais pour un groupe où certains n’étaient plus vraiment au meilleur de leur forme, cela relevait presque de l’exploit. Et pourtant, nous y sommes arrivés, trempés de sueurs mais ensemble.
Je pourrais continuer à raconter toutes les péripéties vécues avec ce groupe tant elles étaient nombreuses, mais chacune d’entre elles apportait sa dose de cocasserie. Et je ne vous cache pas avoir pulvérisé mon record de pas.
Malgré tout, un lien s’est tissé avec ce groupe. Leur enthousiasme, mêlé à leurs petites imperfections, les rendait profondément humains et attachants. Ces moments, bien que parfois éprouvants, restent des souvenirs précieux, témoins de la singularité et de la richesse des rencontres partagées.
Parmi mes autres « taf alimentaires », celui d’enseignant mérite un retour particulier, car il m’a conduit à cette fameuse parenthèse studieuse à l’aube de mes cinquante ans. Former de futurs managers dans le sport constituait un véritable défi, et ces « adulescents » exigeants m’en donnaient constamment la preuve. Il fallait trouver la clé pour capter leur attention. Pas de cours magistraux, pas de monologues interminables : ma pédagogie devait être axée sur l’expérience, à eux de construire leur savoir.
Je leur disais souvent : « Soyez curieux. Ne vous contentez pas d’attendre que l’information vienne à vous. Cherchez-la, confrontez-la, développez votre propre point de vue. ». Une approche qui ne faisait pas toujours l’unanimité, mais certains projets, comme celui de concevoir un jeu de société pour expliquer une thématique, réussissaient à fédérer une grande partie du groupe.
Parfois, les tensions étaient inévitables. Je me rappelle une étudiante qui contestait sa note à un partiel. Elle avait simplement copié-collé une synthèse que j’avais partagée auparavant et ne comprenait pas pourquoi cette méthode était sanctionnée. *« Mais ce que j’ai écrit est correct ! » disait-elle. Je lui expliquai que si son travail était factuellement juste, ce n’était pas *sa* vérité que je lisais, mais la mienne, et qu’il manquait à son écrit toute personnalité. Malgré mes efforts, elle persistait, et je finis par la diriger vers le responsable pédagogique qui m'a bien évidemment donné raison.
Ces moments, bien qu’intenses, m’ont appris à constamment ajuster ma pédagogie pour susciter l’intérêt et réveiller quelque chose chez les étudiants. La transmission est un art exigeant, mais profondément gratifiant lorsqu’il parvient à marquer ne serait-ce qu’une seule personne. Je peux encore citer les noms de certains de mes enseignants qui m’ont profondément marqué. Peu nombreux, certes, mais leur impact est resté indélébile. Je ne sais pas si mes étudiants penseront la même chose de moi, mais une chose est sûre : j’ai toujours enseigné avec conviction.
Si je devais tirer un bilan de ces années d’enseignement, le rapport plaisir/contraintes pencherait nettement du côté des secondes. Enseigner demande un mélange d’efforts et d’abnégation qui peut s’avérer épuisant. Aujourd’hui, je comprends le manque cruel d’enseignants : le métier « passion » s’est trop souvent transformé en métier « ingrat », reflet des mutations de notre société.

Jour d'animation micro