LA BOITE A VIDEOS
Petits écrans
L’une de mes principales qualités est probablement la persévérance. Je croyais profondément que ce concept télévisé méritait une seconde chance et qu’il pouvait réellement trouver un nouveau souffle. Après mûre réflexion, j’ai décidé de présenter le projet à un producteur audiovisuel local avec qui j’entretenais de bonnes relations. Il a accepté, et nous avons rapidement établi une collaboration officieuse, avec une demande très précise : créer un contenu plus qualitatif, proche des standards des émissions télévisées.
Nous tentions de contacter quelques boîtes de production parisiennes, mais sans succès. Nous comprenions rapidement que peu d’émissions réussissaient à se démarquer lorsqu’elles étaient portées par des inconnus. Alors, je proposais une autre stratégie : publier nos vidéos sur les réseaux sociaux pour faire nos preuves, à l’image des chanteurs amateurs qui partageaient leurs clips en espérant être remarqués.
Seul le nom de l’émission était validé rapidement par toutes les parties prenantes. Nous l’avions baptisée "YaPaKe", pour rappeler qu’« il n’y a pas que le foot dans la vie ». Le concept était clair : faire découvrir des sports méconnus et peu médiatisés. Cependant, les désaccords sur des détails comme le choix des couleurs du logo mettaient rapidement ma patience à l’épreuve. J’ai senti à cet instant là que nous partions sur de mauvaises bases.
Pour lancer ce concept et renforcer notre communication, nous décidions de monter une campagne de crowdfunding afin de financer l’épisode 0. Cela nécessitait la réalisation d’un teaser, un exercice où je prenais véritablement la mesure du niveau d’exigence attendu par mon associé. En effet, je me souvenais encore des innombrables prises, ponctuées de commentaires comme « trop rapide », « souris davantage », « souris moins », « articule mieux », et ainsi de suite. Mon agacement devint palpable, au point que l’assistant de mon associé le remarqua. Habitué aux joies de la spontanéité et des prises uniques, j’avais du mal à m’adapter à ce degré de rigueur méthodique, bien que nécessaire à ce nouveau projet. Finalement, nous options pour des plans presque exclusivement en mouvement, offrant un véritable dynamisme au rendu final.
Les plans en mouvement, bien qu’exigeants à réaliser, apportaient finalement un rythme et une énergie qui collaient parfaitement à l’esprit de YaPaKe. Qu’importe, le teaser était enfin monté et publié sur le site de financement participatif. Face à nos retards, nous décidions de décaler la campagne, évitant le mois de mai pour la clôturer en juin.
Ce silence inattendu avait quelque chose d’inquiétant, comme si tout l’élan que nous avions mis dans ce projet menaçait de s’effondrer subitement. À deux semaines de l’ouverture de la cagnotte, un silence pesant s’installait : je n’avais plus aucune nouvelle de mon associé. Pendant ce temps, je continuais ma prospection auprès des chefs d’entreprise partenaires pour recueillir des contributions.
Désespéré par cette absence de communication, je contactais son bras droit et unique collaborateur, qui m’annonçait qu’un grain de sable venait perturber les rouages de notre projet. Il m’informait que son patron avait un souci de santé, sans toutefois me révéler qu’il s’agissait d’un burn-out (ce que j’allais découvrir quelques jours plus tard). Un mélange d’empathie et de compassion s’ajoutait à un profond sentiment d’abandon face à un projet désormais lourd à porter seul.
Tant pis, je me lançais seul, déterminé à aller jusqu’au bout de cette campagne et à tenter d’atteindre l’objectif financier fixé. J’absorbais les heures de travail que mon associé aurait dû consacrer, me plongeant dans une période que je garde en mémoire comme triste et difficile. À cela s’ajoutait le constat amer que je ne trouvais plus le temps de me préparer pour ma saison d’animation.
De surcroît, ce fut aussi une période d’introspection douloureuse : je réalisais que mes sentiments pour mon épouse s’étaient éteints. Subir ou agir ? Continuer à lui imposer des absences répétées, dictées par un projet dévoreur de temps et d’émotions, ne me paraissait pas juste. Elle m'avait tant donné et suivi dans mes challenges. Ma vie ayant toujours été guidée par l’action, je pris alors la décision la plus difficile de mon existence : annoncer mon désir de divorcer après le lancement de la présentation de l’épisode 0.
Une discussion, un dimanche matin, entérina ce choix déchirant. Je pensais sincèrement qu’elle trouverait davantage de bonheur auprès de quelqu’un d’autre. J’avais le sentiment de l’éclipser par mon fort caractère et ma manière de m’imposer en groupe, de l’étouffer. Il semblait qu’elle restait dans le déni d’un couple heureux, stagnant malgré les apparences, malgré plus de vingt ans de mariage. Il n’y a jamais réellement eu de conflits ni d’engueulades. Et pourtant, la flamme s’était éteinte sans crier gare et il n'y avait pas d'autre issue à mes yeux que de nous rendre notre liberté. Je ne peux que la remercier pour tous ces sacrifices que je lui ai imposés pendant cette seconde décennie de mariage. Sans elle, rien n'aurait été possible. Il parait que derrière chaque homme de lumière se cache une femme de l'ombre. Je ne peux que confirmer cet adage et lui en serai reconnaissant pour la vie.
Ce fut une période particulièrement difficile, marquée par une expérience nouvelle et troublante : les crises d’anxiété et d’angoisse. Paradoxalement, ces épisodes survenaient systématiquement pendant mes footings. Le souffle se coupait brusquement, et les larmes jaillissaient sans retenue, me laissant démuni face à un tourbillon d’émotions que je ne parvenais plus à maîtriser.
La campagne YaPaKe s’était achevée avec succès, et il était temps de nous pencher sur le fameux épisode 0. Je me rendais dans les locaux pour travailler sur son scénario, conscient qu’un long chemin restait à parcourir entre tournages et montages. Le collaborateur historique avait récemment été rejoint par un nouveau venu, dont la promesse d’embauche avait été signée juste avant la mauvaise nouvelle.
Je garde en mémoire cet instant suspendu. Nous venions à peine de faire couler le café lorsque mon associé entra, méconnaissable. Il sortait d’un mois d’isolement et tentait de faire le point sur ses actifs. La liquidation de sa société était, malheureusement, devenue inévitable. Avec le recul, ma situation n’avait rien de comparable à celle de mon associé. Parfois, il est essentiel de mesurer nos plaintes à des épreuves bien plus graves que d’autres traversent.
Je ne souhaite d'ailleurs à personne d’avoir à traverser une telle situation. Le burn-out, cette maladie professionnelle encore si mal reconnue, laisse des séquelles profondes. J’ai pu constater de mes propres yeux les ravages qu’elle cause. Cet homme s’était littéralement consumé de l’intérieur, sa passion pour son métier étant devenue une prison, sans aucune échappatoire pour calmer ses démons. Exigeant dans son travail, il l’était encore davantage envers lui-même.
Il restera pour moi un exemple édifiant des dérives à éviter à tout prix.
L’épisode 0 dans la boite, j’avais imaginé une présentation officielle pour nos donateurs. Une soirée d’avant-première destinée à les remercier chaleureusement de leur soutien. Ce fut un véritable succès : une centaine de convives réunis dans une ambiance conviviale. Cet événement m’insuffla un regain d’énergie, marquant un moment fort pour la suite du projet.
Nous avions convenu que l’aventure s’arrêterait définitivement après le montage, en collaboration avec l’associé et le collaborateur historique. La suite devait s’écrire aux côtés du nouveau venu qui nous avait rejoints pour l’épisode 0.
Cette soirée d’avant-première m’avait insufflé de nouvelles idées pour le modèle économique de YaPaKe. Nous pouvions envisager de financer quatre tournages grâce à des événements similaires, tout en collaborant avec des partenaires partageant les valeurs des sports mis en avant. L’objectif pour les quatre clubs concernés était clair : communiquer efficacement tout en offrant à leurs sponsors un billet supplémentaire. En échange, nous leur proposions des entrées pour remplir la salle ainsi qu’une occasion unique de présenter leur discipline sur scène. Un accord gagnant-gagnant. Bien sûr, les vidéos étaient ensuite publiées sur notre page YouTube et relayées sur nos autres réseaux sociaux.
Quelques mois après l’épisode 0, nous avions concrétisé une première saison composée de quatre épisodes, chacun d’environ dix minutes. Ces épisodes m’ont permis d’explorer des disciplines aussi captivantes que le broomball, le kin-ball, la plongée, et l’escrime fauteuil. Lors de l’avant-première, nous avions réussi à réunir environ 150 personnes, un véritable succès qui nous a immédiatement encouragés à poursuivre avec une saison 2. Optimistes et satisfaits, nous rentrions tous deux dans nos frais. Je sentais que nous montions en puissance. Nous étions sollicités par des clubs souhaitant collaborer avec nous.
Ce deuxième chapitre s’annonçait ambitieux. Nous avions planifié un tournage plus complexe, dans lequel je devais m’immerger dans un show sur glace lors d’un gala de l’équipe de France de patinage artistique à Angers. Bien que modeste, le défi était suffisamment stimulant pour me pousser à sortir de ma zone de confort. N’étant qu’un patineur moyen, je devais absolument monter en puissance. Ainsi, j’ai pris des cours presque tous les jours pendant un mois, dès 7 h 30 à la patinoire, dans l’espoir de maîtriser quelques figures de base.
Les chutes faisaient bien sûr partie du processus d’apprentissage, mais je me relevais à chaque fois, comme tout débutant sur la glace. L’objectif de la vidéo était simple : capturer cette progression, illustrant chaque étape de ma préparation. À vrai dire, cela constituait l’essentiel de cet opus.
Malheureusement, mes entraînements furent stoppés net et le tournage n’aboutira jamais. Le monde s’arrêta de tourner en France ce fameux 12 mars 2020, lorsque le président Macron annonça la guerre contre cet ennemi invisible.

Jour de shooting photos